Orvar est un vieux trappeur qui vit dans la forêt de Tungufellsdalur, non loin de la rivière Hvita en pays Islandais. Il y habite un chalet très simple mais fonctionnel, construit il y a longtemps alors qu’il envisageait d’arrêter son métier pour profiter de la joie du silence glacial en forêt. Depuis, ses journées sont remplies par les découpes de bois pour se chauffer, de pêche et de cueillette pour se nourrir sans oublier les menues réparations dans le chalet pour protéger son unique toit. Cette vie frugale, il l’a souhaité mais elle lui semble parfois un peu monotone. Heureusement, Jotun, son fidèle chien berger l’accompagne un peu partout et lui offre quelques espaces de paroles et un peu de divertissement.
Cet après-midi là, Orvar a récupéré son bois journalier et s’assoit paisiblement sur un tronc pour couper les bûches qui rempliront l’âtre ce soir. Alors qu’il termine sa série de coupes, il aperçoit l’une d’entre elles à la forme un peu surprenante. Sur chaque côté, elle dispose de trois arêtes bien nettes, de même taille donnant un prisme à base triangulaire absolument parfait. Il l’emmène chez lui avec les autres bûches mais la pose sur la table ne sachant trop comment il pourrait s’en servir encore. Alors qu’il lance le feu de cheminée pour la nuit, il se dit que l’inspiration lui viendra sûrement avec un bon sommeil. Jotun regarde la scène l’air interrogateur mais rejoint assez vite son maitre au pied du lit.
Alors que le trappeur dort d’un sommeil de plomb, c’est une autre affaire qui se trame en cuisine. Une ambiance aérienne remplit la pièce, empreinte de féérie. La chandelle dans son bougeoir en étain que le trappeur a omis d’éteindre se met en lévitation…Quant aux couverts posés sur la table, ils volent au-dessus de la flamme et se mettent à fondre. Le liquide argenté coule alors sur la bûche pour incruster le bois et prendre la forme d’un symbole de lune sur une des arêtes de la bûche. Puis le bougeoir et ce qu’il reste des couverts reprennent leur place.
Le lendemain matin, Orvar découvre avec effroi la bûche incrustée et ses couverts réduits de moitié…Pris de panique devant cette action qu’il juge diabolique, il sort du chalet, se rend vers la rivière gelée et l’y jette espérant que la bûche soit emmenée très loin de chez lui. Puis il décide d’aller faire son tour habituel en forêt pour y chercher son bois du jour et oublier cet épisode.
Mais c’est sans compter la rivière Hvita qui prend le bois au piège de sa glace ensorceleuse. Elle emprisonne la bûche un temps suffisant pour former un joli symbole en forme de flocon qui orne à présent la seconde face. Le feu de la glace finit par creuser là aussi la veine du bois laissant la glace en place sur la bûche et la rivière repose l’objet sur le bord de la rivière non loin de l’endroit où le trappeur coupe son bois.
Orvar revient justement de son escapade forestière, s’apprête à s’assoir quand il aperçoit la bûche sur le bord de la rive…Quelle stupeur encore que de voir un autre symbole ! Cette fois-ci, c’en est trop, Jotun et lui reprennent le chemin d’une clairière lointaine où il espère bien abandonner cet objet démoniaque. Arrivé au pied d’un arbre, il creuse un trou suffisamment profond pour qu’il ne refasse pas surface avant longtemps et reprend la route avec son compagnon.
La nuit se passe sans encombre, pas de choses bizarres au réveil. Jotun, qui est libre de ses mouvements, s’en va promener aux alentours pour se dégourdir les pattes comme il en a l’habitude. Alors qu’il traverse une clairière, son regard s’arrête sur un morceau de bois recouvert de champignons. Il se dit aussitôt que son maitre serait fier de lui s’il ramenait de quoi manger ce midi ! Alors il prend le bois entre ses crocs et l’amène à Orvar.
Il faut peu de temps au vieux trappeur pour se rendre compte que l’objet est revenu chez lui…Son ultime tentative de destruction sera donc de l’envoyer au feu de l’âtre pour s’en débarrasser définitivement. Il prépare son petit bois, place quelques feuilles sèches pour le faire prendre puis observe la bûche du coin de l’œil. Avant de la mettre dans les flammes, il souffle dessus pour retirer les champignons car ils pourraient bien empêcher le feu de prendre. Il découvre alors sur la troisième face des plantes de la forêt qui sont venues se fondre dans le bois. S’en est presque charmant trouve-t-il. Mais il est déterminé, elle doit disparaitre.
Il pose maintenant la bûche nettoyée au cœur du foyer et l’observe pour vérifier la prise. Afin de s’assurer du travail terminé, il préfère s’installer en face pour y apprécier la flambée. La chaleur l’envahit tout comme la paix de l’instant qui pourrait le faire sombrer dans le sommeil. Mais une ambiance particulière s’installe encore une fois, un air chargé d’une poudre étincelante, on dirait des étoiles qui volent face à lui. Sa vue devient plus nette face aux flammes et au tourbillon qu’elles génèrent. Il se dit qu’il rêve mais pourtant ça semble si réel tout ça. Le symbole en forme de flocon se détache du bois et s’élève dans les airs. Des gouttes d’eau sont en suspension, se dirigent vers l’homme qui ouvre la bouche naturellement pour boire ce liquide féérique. Le goût de cette eau est inqualifiable presque originel, offrant un instant de renaissance. La terre humide attachée au bois développe son odorat, l’humus de la forêt semble l’entourer à présent, jamais il n’avait senti pareille sensation que de se sentir être la forêt. Cette poudre lumineuse virevolte autour de lui, lui offre un toucher doux et subtil, une caresse divine. Et ce son ! Mais d’où vient-il ? Pourquoi ne l’a-t-il jamais entendu alors qu’il lui semble si familier ?
En cet instant suspendu, il découvre le plaisir de ses sens dont il avait perdu l’usage dans la routine de son quotidien monotone. Ses peurs des jours précédents se dissipent face à ce qu’il appelle maintenant la magie de la vie.