
Une histoire pour la comprendre…
C’est mercredi, Irène façonne quelques cookies pour Salomé qui va rentrer de l’école car elle sait combien la jeune adolescente en raffole. Quand elle entend la porte s’ouvrir, elle met tout de suite la plaque de biscuits au four pour accueillir joyeusement sa petite fille. Mais le visage de Salomé est empreint de larmes versées sur le chemin du retour.
Elle s’empresse de la faire s’assoir à ses côtés pour lui demander la raison de ses pleurs. La jeune fille lui répond qu’elle se sent terriblement seule, personne ne lui parle à l’école. Elle se sent complètement transparente aux yeux de ses camarades de classe. Elle sait bien qu’elle est différente, qu’elle rêvasse souvent, lit énormément ou encore s’intéresse à des choses que d’autres pensent futiles. Mais elle ne comprend pas cette indifférence …
En guise de réponse, Irène lui demande d’écouter une histoire qui remonte au moyen-âge et qu’on lui a transmise de générations en générations. Elle pourrait bien éclaircir ses idées sur la question.
Salma, jeune serveuse dans une taverne, a pour habitude de recevoir un groupe de musiciens le jeudi soir. Son petit plaisir est de poser un joli bouquet d’anémones des bois en centre de leur table habituelle pour leur souhaiter la bienvenue. Ce bouquet est du jour car elle prend toujours un moment l’après-midi pour aller cueillir ces mignonettes au tout début du printemps, à l’aube des jours ensoleillés.
Seule en forêt, elle se sent bien loin du tumulte de ce village qui parfois la rend complètement folle. Les habitants ne font pas attention à cette jeune solitaire avec qui ils communiquent peu car elle leur parait un peu étrange à vrai dire. Mais après tout, elle est la fille du tavernier et ne fait guère de bruit alors on préfère l’ignorer.
Ce soir-là, les douze musiciens s’assoient à leur tablée habituelle. S’ils ne sont pas vraiment joyeux à leur arrivée, la petite attention à la vue du bouquet de Salma leur donne un peu de baume au cœur en cette période où ils se sentent un peu déprimés par le manque d’inspiration. Malgré le manque d’entrain et pour remercier la jeune femme, ils se décident à pousser un air avec leurs instruments si bien qu’ils se prennent au jeu et se lèvent pour prendre leurs aises.
La mélodie commence à prendre forme, le groupe s’engaillardit, les instruments virevoltent et le rythme s’accélère. Le groupe est enchanté de ce regain créatif car le spectacle qu’ils envisageaient d’annuler demain soir pourra bien avoir lieu ! Ils ne peuvent s’empêcher de regarder Salma pour lui demander si elle veut bien être présente demain avec un de ses fameux bouquets d’anémones. Bien sûr qu’elle leur répond, elle qui a si peu l’habitude qu’on s’adresse à elle et qui apprécie leur musique.
Le lendemain, elle se lève aux aurores pour aller cueillir des fleurs toutes fraîches encore nimbées de la rosée du petit matin. La journée passe et les musiciens s’affairent sur la place centrale. Ils y placent un cercle de pierres, y mettent du bois au centre pour allumer un feu et demandent à la jeune femme d’y placer le bouquet à proximité pour qu’il puisse leur porter chance. Elle s’assoit délicatement à leurs côtés puisque le groupe a formé un cercle autour de la flambée.
Le feu commence à prendre et le groupe entonne la composition faite hier soir faisant arriver les villageois qui se regroupent dans le cercle et dansent ainsi joyeusement. Salma, prise dans ce mouvement musical très agréable, se met à chanter une douce mélodie poétique qui lui donne des airs d’incantations. Elle observe au loin le bouquet d’anémones qui prend feu et dégage une petite fumée à peine visible et très diffuse parmi l’assistance. Au même moment, les villageois se mettent à ralentir leur danse effrénée pour entrer dans un mouvement bien plus lent qui les rend complètement apathiques voire complètement fous. Alors que la majorité se couchent à terre, Salma se dépêche de rentrer chez elle face à ce spectacle qu’elle trouve terrifiant.
Le lendemain, tout le monde est rentré chez lui mais déjà la rumeur circule que la jeune femme serait une sorcière et leur a jeté un sort hier soir. Les musiciens ne peuvent pas prendre sa défense l’ayant bien entendu chanter des paroles dont ils se sont dit qu’elles ressemblaient à des incantations. Le tavernier aura beau tenter de secourir sa fille, la réunion d’un conseil de village est décidée.
C’est dans ces circonstances que le conseil se rassemble et seul son père vient plaider la cause de sa fille. Rien n’y fera, la sentence tombe. Elle sera brûlée sur la place où s’est déroulé le drame en guise d’exemple pour les autres jeunes femmes qui voudraient s’adonner à la sorcellerie…
Les hommes du village s’empressent de construire le bûcher au centre du village à l’endroit même où se trouve encore le cercle de pierres. On y emmène Salma qui se retrouve ligotée aux fagots de bois dressés en hauteur, tellement sidérée par la scène qu’elle ne dit pas un mot, ce que certains prirent pour des aveux. C’est ainsi que le responsable du conseil mis le feu au bûcher, laissant la jeune femme aux flammes de sa solitude.
Le lendemain, les villageois décident de recouvrir la scène en y mettant un grand tapis de terre. Et seulement quelques jours après, une anémone y fleurira, témoignage d’une présence autant que du repos qui resteront éternels. Irène se tourne vers Salomé toujours en pleurs mais dont le visage a repris une lumière qu’elle ne lui connait pas. Elle lui demande ce qu’elle retient de cette histoire de famille. L’adolescente prend un temps de silence pour dire à sa grand-mère que si la différence des uns mène à l’incompréhension et à l’ignorance des autres, la pureté et l’innocence fleuriront toujours sous une forme ou une autre, peu importe le caractère éphémère de la vie.
Son enseignement

La simple vue de l’anémone à l’ombre des bois nous mène à ressentir l’espoir, une lumière fine et voluptueuse au milieu de la nuit. Cette plante utilise un processus d’enseignement structuré dans un ordre bien précis en lien avec ses propriétés physiques.
Par son caractère très corrosif qui détruit les tissus à son contact, elle libère le corps des scories pour pouvoir entrer au cœur de l’esprit. On se trouve alors enveloppé d’un nuage éthérique et irisé (arc-en-ciel) pour être anesthésié, proche d’un état léthargique et d’endormissement propice à lâcher-prise pour s’ouvrir au monde divin.
Les tensions nerveuses et musculaires se délient, la respiration se libère et la vie parait tout de suite plus légère, empreinte d’un souffle pur et léger. L’espace intérieur devient limpide.
Vient le moment où elle opère sur l’harmonie du cœur, les portes s‘ouvrent à toutes les possibilités. On se sent accueilli dans le monde, les bras grands ouverts, acceptant tout ce qui se présente comme une bénédiction, un enseignement. La porte du cœur s’élargit pour retrouver sa capacité d’amour inconditionnel, décupler les sens et recevoir ainsi tout ce qu’offre la vie sous nos yeux, par le toucher et l’entendement en particulier.
On est pris dans un vertige, presqu’un évanouissement, permettant de se défaire de toute illusion pour cerner l’essence de soi. Les obstacles s’estompent un à un qui empêchaient l’accès à la joie de se sentir un être divin touché par la grâce. Et enfin, on retrouve sa place, cet endroit singulier qui fait de l’unicité bienheureuse le cœur de l’universalité, cette qualité de l’Être qui contribue à se laisser guider sur la voie qui nous est tracée. La fleur du destin et du rêve lucide de créer son chemin à chaque instant.